VILLEJUIF de A à Z

Heidi Wood

EN CHANTIER COMME LA VILLE

De longue date, j’aime faire des portraits de villes issus d’études de terrain poussées. Mes cibles sont accessibles en vols low-cost comme en carte Navigo. J’ai toujours aimé les lieux en transition, comme les recoins désindustrialisés de l’ex-empire Soviétique ou les terrains vagues. Jusqu’à l’arrêt des déplacements imposé par la pandémie, je pratiquais une sorte de tourisme studieux « hors-pistes » pour collecter des éléments qui me permettraient de réaliser des œuvres à leur gloire.

En 2012, j’ai passé une année à dessiner des objets personnels d’habitants de Chevilly-Larue et à faire des pictogrammes architecturaux. J’ai imaginé que j’étais chargée de promouvoir la ville comme destination touristique, en mettant en avant son patrimoine négligé : les pylônes électriques, les autoroutes, les hangars de Rungis… Les façades de Chevilly-Larue étaient juxtaposées aux objets de l’intimité domestique des Chevillais.
L’exposition était conçue comme un syndicat d’initiative et j’ai proposé une gamme de souvenirs au marché de Noël. D’autres expériences ont suivi, parfois dans les centres d’art, parfois en milieu scolaire lors de commandes d’œuvres pérennes.
L’interaction avec les habitants est un élément essentiel dans la phase de recherche de ces portraits urbains. Ils sont les initiés et moi, la novice qui consulte.

Par ailleurs, j’aime bien les contraintes. Si je n’ai pas un cahier des charges, je regarde le contexte et j’en invente un qui va dans le sens de mes préoccupations. Le projet En chantier est né d’une invitation à participer à un programme de résidence d’artistes à Villejuif. Il n’y a ni lieu de travail, ni lieu d’exposition dédiés. Rien n’est imposé. Tout est à inventer. La ville est en transition, avec partout des chantiers de gros projets d’infrastructure et de logements. J’ai pu alors revenir sur des obsessions anciennes en leur donnant une forme nouvelle.

La première contrainte que j’ai choisie pour structurer cette résidence d’artiste était de créer uniquement avec des matériaux de récupération. Autant qu’un geste écologique, c’était la poursuite de mon intérêt pour les merveilles sous-estimées.
J’ai prélevé mes trésors auprès du service d’impression de la ville (des affiches publicitaires qui avaient déjà circulé) et des prestataires en signalétique (des chutes d’adhésifs vinyles colorés et de bâche blanche). La médiathèque a fourni des livres pilonnés et de la papeterie municipale désuète. J’avais moi-même divers papiers et sachets kraft en stock. La valeur de ces matériaux n’était pas évidente pour tout le monde : un samedi, le service de nettoyage a jeté tous mes adhésifs, provoquant chez moi un sentiment paniqué de quasi-deuil pour les œuvres à venir (je les ai retrouvés dans un gros sac dehors). Mais quelque part, l’agent.e de nettoyage n’a fait qu’accélérer le retour de ces matériaux au statut de déchet. Mon détournement des matériaux destinés à la poubelle ne devait durer que le temps du projet. Il était prévu qu’il ne resterait que de la documentation.

La deuxième contrainte structurante consistait à travailler quatre heures par jour sur une grande table à la médiathèque Elsa Triolet. J’espérais ainsi démystifier l’acte créatif en l’exposant aux regards et dialoguer avec les usagers de passage.
C’était une démarche que j’avais déjà pratiquée, notamment lors d’une exposition entièrement créée in situ au centre d’art contemporain Le 116 à Montreuil en 2015.

Enfin, il restait à trouver un cadre pour impliquer des Villejuifois lors de la rencontre chaque samedi après-midi.
La première semaine, j’ai proposé de dessiner leurs portraits, de profil, en deux minutes. Très vite, j’ai compris que c’était une formule qui marchait, me permettant de constituer un répertoire qui serait le point de départ de toutes les œuvres et un moyen simple d’entrer en contact. Le chantier était lancé.

Heidi Wood
janvier 2024

Caractéristiques :
  • dimensions largeur 17,2 cm, hauteur 23cm, épaisseur 1,8 cm
  • Imprimé en quadri. sur papier Munken Print White 1,5 115 gr et 300 gr
  • Édité à 500 exemplaires
  • isbn : 979-10-93155-96-8
    dépot légal Juin 2024